Sorcellerie et poussiereux


Sorcellerie et Poussiéreux


(ceci est un passage d'un ouvrage retranscrivant les cours d'un célèbre sorcier poussiéreux)


Othon lève la main et désigne un siège bas molletonné, sans accoudoirs.
Sa disciple s’exécute et s’approche de son pupitre.
Le vieux sage entame son cours sans le moindre délai, comme d’habitude :


- La leçon du jour porte sur l’histoire de la sorcellerie.
Que peux-tu m’en dire ?

- Elle existe sous deux formes, honoré Othon : celle des Nemens, basée sur une science nommée la Théorunie, et sur un art pratique nommé Callimancie.
Et il y a...

- Faux.
Qu’ai-je déjà dit à propos de la mythique « sorcellerie » de nos hôtes ?

- Ah, oui, pardonnez-moi : ce qu'étudient les Nemens n’en est pas, c’est... eh bien... quelque chose qui...
Nous supposons que leurs runes...

- On suppose bien des choses, oui.
Mais nous n’en savons rien.
Car nous n'avons jamais observé le moindre effet, ni la moindre parcelle d'activité autre que rémanente.
Par souci de clarté, n’emploie jamais le mot « sorcellerie » pour qualifier ce que nous supposons de leur science.
Use des termes « théorunie » et « callimancie ».
Ce sont ceux qu’ils utilisent eux-mêmes.

La jeune fille poursuit :

- Oui, Maître.
Pratiquer de la sorcellerie, c’est modeler la nature en transformant de l’énergie brute et insaisissable, la mana, en énergie tangible : lumière, chaleur, mouvement, matière.
La mana se déplace autour de nous, dans notre environnement.
Ce déplacement est nommé flux ou balafre de vie.
Ledit flux est polarisé, c’est-à-dire qu’il va et vient alternativement entre deux pôles privilégiés.

- Correct. En a-t-il toujours été ainsi ?

- Non, honoré : avant que les races de poussière ne sortent des piliers, la mana n’était jamais « en mouvement », mais fixe quel que soit le repère considéré.
Le concept de flux n’existait même pas.
L’évènement qui a provoqué notre venue ici a violemment affecté le réel ; il en résulta...

- Holà, jeune dame ! D’où tiens-tu pour sûres tes allégations ?

- La concordance des dates est pour le moins...

- Concordance n’est pas corrélation.
Par ailleurs, comment expliques-tu qu’un phénomène, quel qu’il soit, puisse être fixe par rapport à toutes sortes de repères en mouvements relatifs ?
Ta mana des temps pré-historiques m’a tout l’air d’être une pure illusion...

Réfléchis : les Nemens ne pratiquent pas la sorcellerie.
Seules les races de poussières le font.
Or, la mana telle que nous la connaissons est apparue avec nos races : qui te dit « qu’avant », la sorcellerie fut simplement possible ?

La disciple se tait, décontenancée.
Les livres étaient plus catégoriques que son précepteur... ce dernier reprend :


- Poursuis : quelle est l’incidence des flux sur les êtres qui peuplent Syfaria ?

- Cela dépend s’ils usent de sorcellerie, ou n’en sont pas capables, maître.
Cette influence est plus intense et plus riche sur les sorciers que pour les êtres vivants en général.
Comme les flux sont polarisés, les sorciers poussiéreux ont dû choisir une orientation privilégiée – ascendante ou descendante – pour progresser dans leur art : en effet, les sorts incantés varient subtilement d’intonations selon le pôle émetteur, et chaque lanceur de sort doit choisir sa « direction préférée » lorsqu’il s’engage dans la voix de l’étude des sphères.

- Tiens donc !
Et pourquoi nos sorciers n’apprennent-ils pas les deux façons de faire ?

- C’est trop difficile, honoré : le palais se forme durant la pratique et l'apprentissage, comme se forme un accent unique chez l’enfant : on n’a jamais qu’une seule langue maternelle, quoi que l’on fasse.
On peut en utiliser une autre, mais apprendre les deux en même temps se révèle quasi impossible...

- Très bien, jeune fille !
J’aime cette analogie !
Mais dis-moi : l’existence de ces flux pose-t-elle d’autres soucis ?

- Oui, car l’alternance n’est pas toujours régulière : Or, plus le flux persiste dans une direction donnée, plus l’intonation correspondante doit être appuyée.
Dès lors, si le flux de mana se fige trop longtemps, les sorts eux-mêmes deviennent impossibles à lancer : le décalage par rapport à l’intonation de base est tel que les sorciers spécialisés eux-mêmes ne parviennent plus à incanter avec la précision requise.
C’est vrai quelle que soit la langue utilisée.

- « Quelle que soit la langue utilisée... »
Tu parles de deux langues, pour pratiquer la sorcellerie : quelles sont-elles ?
Et d’où viennent-elles ?

- Elles se nomment l’Arkan et l’Anarkan. C’est un groupe de sages poussiéreux et de Nemens qui les ont mises au point... à partir d’une même base de signes élémentaires.
Mais si lesdits signes sont les mêmes, leur agencement est...

- Ne t’éloigne pas de ton sujet, et réponds à mes questions.

- Oui, bien sûr : l’Arkan permet de lancer n’importe quel sortilège, à l’exception de ceux dépendant de la sphère Entropie.
Pour ces derniers, il faut utiliser l’Anarkan.

- Oh, vraiment ? Et pourquoi cela ?

La tchaë perd soudain de son assurance :

- On dit... on dit que la pratique de l’Entropie est exclusive, parce que la tournure d’esprit nécessaire est incompatible avec celle cultivée dans l’étude des autres sphères.
C’est à ce point vrai qu’il a fallu créer deux langues distinctes : une pour les entropistes, une pour les autres lanceurs de sorts...

- C’est parfaitement exact.
Nous n’entrerons pas dans les détails, mais sache qu’en apprenant l’Arkan, tu t’interdis d’apprendre simultanément l’Anarkan.
L’inverse est tout aussi vrai.
Cela n'empêche point d'en apprendre une dans un temps de sa vie, puis une autre ensuite.
Et d'user de ses connaissances passées.
Mais l'apprentissage de l'une t'interdit de procéder en même temps à l'apprentissage de l'autre.
Revenons au flux, si tu le veux bien : tu dis qu’il alterne... mais encore ?

- En temps normal, les flux de mana s’inversent précisément toutes les quatre heures : c’est ce qu’on nomme une marée, qui peut donc être ascendante ou descendante.
Parfois, lorsque la trame est bouleversée, la durée d’une ou de plusieurs marées successives change, mais c’est rare.

- Que déterminent ces marées ?

- Elles déterminent quelle catégorie de sorciers peut incanter, et laquelle ne le peut pas.
Elles fixent aussi la durée des effets de sorts, car ses derniers cessent toujours d’agir lors de l’étale, lorsque le flux s’arrête et se renverse.
Les sorts ont donc une durée approximativement multiple de 4 heures.
En fait, on a coutume de définir la durée d’un sort en nombre de marées : cinq marées, par exemple, c’est environ 20 heures.
Ainsi, le sort de Régénération, de la sphère Essencialis, dure en général trente marées...

Le vieux professeur affiche une moue circonspecte :

- « Approximativement », « environ »... tu n’as pas l’air sûre de toi !
Tu m’expliques que les marées usuelles durent très exactement quatre heures, tu m’affirmes que chaque sortilège agit pendant un nombre précis de marées : le résultat devrait être d’une rigueur absolue !
Ce n’est pas le cas ?

- Non, maître honoré : d’abord, les sorciers ne peuvent connaître l’horaire des marées avec une précision infinie.
Ensuite, ce que je vous ai dit est valable dans le cas de sorts parfaits ; en pratique, des incertitudes se produisent.

- Explique-moi ça...

La disciple marque une pause, pour bien expliciter sa pensée :

- Qu’est-ce qu’un sort « parfait » ?
C’est un sort neutre vis-à-vis du flux, c’est-à-dire fixe par rapport à la mana qui baigne Syfaria : ainsi, il ne perturbe pas les flux.
Mais la perfection n’est pas de ce monde, pour les utilisateurs de ces langues ardues que sont l'Arkan et l’Anarkan : donc, un sort incanté n’est pas fixe, il se déplace...

Moins il est correctement exécuté, plus il voyage.
Plus il voyage, plus il contrarie les flux...

Dès lors, puisqu’il bouge, le moment où il se retrouve fixe par rapport au flux n’est plus le moment précis de l’étale des marées : il en découle que sa durée sera altérée, en plus ou en moins, selon qu’il va dans le sens du courant ou à contre-courant.
La valeur de ce décalage est par essence imprévisible, puisqu’elle dépend de son imperfection.
Conséquemment, un sorcier doué produira des sortilèges plus puissants et plus stables que ceux d’un débutant, car sa maîtrise de l’Arkan ou de l’Anarkan lui permet d’incanter des sorts presque parfaits : plus neutres par rapport aux flux, plus respectueux de son alternance régulière.

La capacité des sorciers à frôler la perfection varie selon les sphères : certaines sont plus aisées à maîtriser que d’autres.
Pour d’évidentes raisons liées à la difficulté et à la spécificité de l’Anarkan, la sphère entropique est, de ce point de vue, la plus problématique.

Le sage pose son menton dans ses deux mains jointes, comme s’il priait. S’avançant sur son siège et fixant son élève, il demande abruptement :


- Peux-tu me dire, en résumé, combien de sortes d’incantations existent donc ?

- Euh... oui : sachant qu’il y a deux langues, l’Arkan et l’Anarkan, et deux intonations, l’Ascendante et la Descendante, il y a quatre façons différentes d’incanter.

- C’est très bien.

Se levant, le vieux tchaë arpente la salle des Arcades à pas lents, plongé dans ses pensées.
Que sait sa disciple de l’histoire véritable ?
Et qu’en sait-il, lui..?
L’histoire officielle est bien connue, mais que vaut-elle ?


- Revenons un instant sur notre lointain passé : pourquoi les races de poussière et les Nemens ont-ils mis au point l’Arkan et l’Anarkan ?
Etions-nous donc si ignorants en sorcellerie ?

- Non, ô maître : chaque race usait déjà de sortilèges.
Mais ils s’avérèrent inopérants sur ce nouveau monde, aux lois surnaturelles... originales.
Les plus savants d’entre les poussiéreux convinrent rapidement que la meilleure chose à faire, c’était d’imiter les runes Nemens.

- Ca semble plutôt logique. L’ont-ils fait ?

- Oui...

La jeune fille cesse de parler, comme intimidée.

- Et bien ?
Qu’est-il arrivé ?
Cela a-t-il donné les résultats escomptés ?

- Pas du tout.
Ce fut... catastrophique !
La Théorunie et la Callimancie sont des sciences qui reposent sur des connaissances scientifiques, ésotériques et artistiques si anciennes et si riches que les étudier s’avéra impossible.
Nombre de chercheurs insistèrent cependant et de nombreux drames survinrent : il y eu des maladies mentales, et même des suicides.
Finalement, les Nemens décidèrent de nous aider.
Ainsi naquirent les deux langues jumelles dédiées à la sorcellerie...

- D’accord.
Et leur aide fut acceptée sans heurts ?

- Euh... dans l’ensemble, oui.
Mais dans le détail... il y eu des problèmes : les sphères que nous connaissons aujourd’hui furent progressivement créées, elles s’étoffèrent... puis les tydales fondèrent celle de l’Exécution, ce qui fâcha les Nemens.
Ils se retirèrent de nos recherches.
Mais elles se poursuivirent...

- Dans quelle direction ?
Vers plus de sortilèges, ou vers de nouvelles sphères ?

- Surtout vers de nouvelles sphères.
C’est ainsi, du moins le suppose-t-on, que serait née la légendaire sorcellerie dite de la Coruscation.

- Que peux-tu m’en dire ?

- Pas... pas grand-chose, honoré Othon : elle se serait appuyée sur la sorcellerie en œuvre dans les piliers eux-mêmes, si tant est qu’une telle chose ait le moindre sens.
Toujours est-il que les quatre-vingt-douze sorciers qui travaillaient sur cette sphère sont morts brutalement en 1047.

- En effet.
Un terrible échec pour nos prédécesseurs...

Le sorcier grommelle, perdu dans ses pensées.
Puis il demande :


- Que signifie ce terme ? « Coruscation »

- Coruscation... c’est un mot à double sens, qu’on pourrait comparer à... fulguration ?
Il renvoie simultanément à l’idée de brillance, d’éclat, et à celle de brièveté.
Est coruscant quelque chose qui est à la fois éphémère et... et lumineux.

- Très bien.
Maintenant, réfléchis : qu’est-ce qui, selon toi, pourrait correspondre à une telle définition ?

La jeune fille se concentre : jamais son maître n’est allé aussi loin sur ce sujet, d’ordinaire tabou.
Elle le sent nerveux, voit ses traits creusés.
Quelque chose le tourmente...


- Une flamme ? Hasarde-t-elle.
Une sorte de... combustion ?

- Non.
Que font les piliers ?

Ils ressuscitent...
Soudain, elle comprend !
Dans le silence de la vaste salle, elle ose, presque religieusement :


- La Coruscation, c’est la vie ?

Othon ne répond pas.
Il se contente d’un maigre et timide sourire.
C’est alors qu’on frappe à la porte principale de la salle aux Arcades : un jeune Nelda entre, salue Othon, fait un clin d’œil à la disciple et s’assied sans bruit devant une stèle vacante.
Le vieux sage s’exclame :


- Tiens donc !
Si je m’attendais !...
Pensez-vous être à la hauteur de mon discours, bougre de chenapan ?

- Je ferai de mon mieux, noble sage.
Quel est le sujet de votre leçon du jour ?

- L’Arkan et l’Anarkan, entre autre !
Voyons si vous connaissez vos classiques : Qu’est-ce qui les différencie des autres langues usuelles, je vous prie ?

La jeune tchaë sourit avec suffisance et regarde le nouvel arrivant, apparemment persuadée qu’il ignore tout de ces questions.
Mais ce dernier répond sans hésiter :


- L’Arkan et l’Anarkan ont un alphabet commun, très fourni.
Cet alphabet se compose de signes élémentaires qu’on n’appelle pas des lettres, mais des glyphes. Ils...

- Des Glyphes ? Et pourquoi ce terme ?

- Parce que si l’on rédige un parchemin de sort, donc en Arkan ou en Anarkan, lesdits signes s’inscrivent en creux dans leur support.
C’est ainsi que l’on sait si la sorcellerie le pénètre bien, et si le parchemin est réussit.

- D’accord.
Poursuivez, vous m’étonnez...

- L’Arkan et L’Anarkan s’appuient sur plus de 2800 glyphes.
En fait, ce nombre fluctue en fonction des marées, de la configuration astrale, de la sphère considérée, et d’autres paramètres, euh... plus subtils.

- En effet ; mais si l’Arkan et l’Anarkan ont un alphabet commun, en quoi sont-ils si différents ?

- Leurs façons d’agencer les glyphes n’ont rien à voir... de la même façon que vous pouvez créer deux idiomes parfaitement distincts à partir d’un même ensemble de lettres.
La structure des sorts entropiques est trop singulière pour se plier aux règles strictes de l’Arkan.

- Correct.
Les glyphes, m’avez-vous dit, sont comparables aux lettres de l’alphabet : on peut donc s’en servir pour composer des phonèmes, les briques du langage oral ?
Autrement dit, peut-on par exemple parler Arkan ?

Le jeune homme hésite ; apparemment, la question est lourde de sens.
Finalement, c’est sa condisciple qui répond à sa place, avec un plaisir non dissimulé :


- On le peut, mais c’est du gâchis, à double titre :

D’abord, si les glyphes de l’Arkan et de l’Anarkan permettent effectivement de composer des phonèmes, ceux-ci sont infiniment plus riches et plus complexes que les phonèmes de nos langues communes : ils intègrent des sons supplémentaires, comme les respirations, les souffles, les sifflements, les claquements de langue.
De plus, il serait plus approprié d’utiliser le verbe chanter, plutôt que parler, car la tonalité et la note ont leur importance, de même que le tempo, les silences...

Ensuite, les glyphes mettent à contribution d’autres formes d’expression que les seuls phonèmes : les gestes, les éléments matériels, les états d’esprits, les sentiments, les émotions, les mimiques, l’orientation du corps dans le flux... sont autant de composantes associées aux glyphes.
Par exemple, certains sortilèges sont de véritables spectacles de danse, plus proches d’une chorégraphie que d’un discours !
Si l’on ajoute les intonations ascendantes et desc...

- Attendez, attendez, jeune fille, n’allez pas trop vite : voulez-vous nous dire que chaque glyphe intègre tous ces éléments ?
Qu’à chacun de ces signes élémentaires correspondent un son, un geste, un sentiment, une orientation, etc. ?

- Non, maître : je dis simplement qu’un glyphe peut être associé à l’un, ou plusieurs, de ces modes d’expression.
Et encore, je ne les ai pas tous cités.
L’Arkan et l’Anarkan sont des sortes de langues totales, de ce point de vue : elles exploitent tout ce que Syfaria nous a donné pour nous exprimer.
D’ailleurs, bien des projets de sorts nouveaux sont tombés à l’eau parce que les exprimer s’est finalement avéré impossible : sons trop graves, gestes trop rapides, sentiments trop violents.... ou variabilité trop grande, notamment pour la sphère entropique.

- Je vois.
Alors, puisque le terme « phonème » est trop réducteur, a-t-il un équivalent pour l’Arkan et l’Anarkan ?
Comment nomme-t-on ses briques, ses unités d’expression minimales, si j’ose dire ?
Je crois me souvenir que c’est assez joli...

- Des Mystères.
Ce sont les unités symboliques avec lesquelles on construit les sorts, exactement comme les phonèmes sont les unités sonores avec lesquelles on construit les paroles.

- Dites-moi : l’Arkan et l’Anarkan ont des glyphes communs.
S’appuient-ils aussi sur les mêmes « mystères » ?

- Précisément non, maître.
A partir d’un même ensemble de glyphes, ces langues divergent : Les Mystères sont propres à chacune, et les façons d’organiser lesdits Mystères sont radicalement différentes : autant l’Arkan obéit à des règles très strictes, rigoureuses voire austères, autant l’Anarkan repose sur l’intuition, l’inspiration, voire l’instabilité de son utilisateur...

Profitant d’une pause, le jeune Nelda sort de son apparente torpeur et s’exprime à nouveau :

- De toute façon, parler Arkan ne veut rien dire : on ne peut pas transmettre de message sensé avec cette langue.
Elle ne sert qu’à produire des effets de sorcellerie.
C’est même pour cette raison que les premiers sorciers ont donné ce nom, Mystères, aux associations élémentaires de glyphes.

- Vraiment ?
Et pourquoi cela ?

- Parce que les Mystères s’apparentent à des symboles, des métaphores, des analogies, voire des paraboles ; nombre de Mystères de l'Anarkan sont même de véritables paradoxes : ils n’ont pas de sens clair et figé.
En sus, en fonction de l’ordre dans lequel ils sont disposés, leur signification générale peut changer du tout au tout.
Si l’on devait comparer l’Arkan et l’Anarkan à des « langages » existants, il serait plus judicieux de regarder du côté de la musique, ou des mathématiques : ce sont avant tout des outils.

Le sage tchaë observe les jeunes gens, et sourit dans sa barbe :

- C’est excellent.
Je vous félicite...



Les Sphères


Chaque sphère se caractérise par des sortilèges ayant des effets catégorisés.
Les sorts y sont donc regroupés selon ce qu’ils font.
L’Arkan et l’Anarkan possèdent leurs logiques propres qui permettent aux sorciers de lancer des sortilèges et de faire des recherches rationnelles, sphère par sphère.

A chaque sphère sont dédiées une discipline et une catégorie.

- La discipline est le domaine d’expression de la sphère concernée.
- La catégorie est le domaine de recherche qui lui est associée.


Par exemple : l’Essencialis est la sphère associée à la discipline Astrologie, et à la catégorie Esotérisme.

Un sorcier essencialiste, comme tout autre sorcier (autre qu’entropiste), va incanter en Arkan.
Mais connaître cette langue est insuffisant (d’autant que la connaître dans son intégralité est impossible) : Il devra aussi être un fin connaisseur de l’astrologie syfarienne (d’un point de vue technique d’abord, symbolique ensuite).

Pourquoi ?
Parce que la sphère essencialis est liée à cette discipline.
Cela signifie que le sorcier va utiliser la palette des signes de l’Arkan qui se rapportent aux astres (tel son renvoie à telle étoile, tel geste à telle constellation, telle note à telle saison, etc) pour produire son sortilège.
S’il tente d’utiliser des signes dépendant d’autres disciplines, son sort échouera.

Un chercheur en essencialis, lui, va tenter d’enrichir la palette de sorts possibles en générant de nouvelles associations de signes astrologiques : il va donc s’intéresser à la symbolique des astres, et à l’ésotérisme, de sorte à découvrir de nouveaux savoirs dans sa discipline et sa catégorie, savoirs qu’il essayera ensuite de traduire en Arkan.

Voici l’ensemble des sphères, avec leurs disciplines et catégories liées :

1. Sphère de l'Essencialis : Astrologie, Esotérisme
2. Sphère de l'Evolution : Connaissance de soi, Contrôle de soi
3. Sphère de l'Entropie : Calcul, Mécanique
4. Sphère de la Décrépitude : Médecine, Naturalisme
5. Sphère de la Chimère : Chant, Musique
6. Sphère de l'Exécution : Danse, Arts martiaux
7. Sphère de la Coruscation : On ne sait plus (donc, on ne peut pas la recréer)

Note : la Mécanique est ici l’ancêtre de la Physique, le Naturalisme l’ancêtre de la biologie, et le Calcul signifie les Mathématiques.

Le Syphon et l'Afflux.


Il existe un phénomène commun à tous les lancements de sorts. Les thaumaturges le nomme "le Syphon et l'Afflux".
Lutter contre le syphon et contrôler l'afflux, tel pourrait être le résumé de chaque incantation...

Chaque sort nécessite un peu d'énergie, pour s'activer, comme une sorte de marchandage cosmique, où l'on échange avec le monde de Syfaria un peu de son mana contre le bouleversement de sa réalité.
Cette énergie nécessaire est ce qu'on nomme l'Afflux, le Syphon étant le nom donné à la perturbation qui apparait, et par lequel s'évapore le mana.

Si la puissance des Syphons créés par les sortilèges des premières arcanes est parfaitement négligeable, plus on progresse et plus ceux-ci deviennent puissants, devenant difficiles à contrôler.

Avec les sortilèges les plus faibles, le Syphon n'est rien de plus qu'une sorte de porte, par laquelle on ''pousse'' lentement le mana, jusqu'à atteindre un Afflux suffisant.
Sitôt ceci fait, on referme le Syphon.
Lorsque la maitrise augmente et que la complexité s'accroit, l'équilibre se déplace, et on en vient à lutter contre le Syphon, essayant au mieux d'échapper à son emprise sitôt l'Afflux accompli.
Pour certains sorts, cela reste facile, pour d'autres... C'est tout bonnement impossible.

Il arrive néanmoins parfois que l'on parvienne à réaliser un''vol d'afflux''.
Au moment où le Syphon est presque refermé, et que le sortilège commence à se former, on ''rattrape" son mana, l'extrayant du Syphon.
Outre la satisfaction que l'on peut en retirer, ceci a de plus le don d'augmenter la puissance du sortilège, comme si le vide ainsi créé était comblé par une magie plus puissante.

Mais il existe néanmoins une petite aberration magique dont aucun mage n'est à l'abri. On les appelle communément les Syphons d'acier ou les Syphons voraces.
Il s'agit de Syphons en apparence normaux mais... Absolument impossibles à refermer.
Une seule chose à faire dans un tel cas : attendre qu'il ait absorbé tout notre mana, avant de disparaitre de lui-même, réduisant à néant les chances d'un lancement réussi...

Ecriture de parchemins, Enchantement, Alchimie et Divination



Ces quatre domaines de l’activité surnaturelle des êtres de poussières intègrent des manipulations pour le moins ésotériques.

Ecriture de Parchemins :


Un « parchemin de sort » est à la fois un texte descripteur de l’ensemble des signes qu’il faut produire, en Arkan ou en Anarkan, pour générer un effet donné, et un vecteur de mana.
Donc, en soi, un tel parchemin est un objet "enchanté", mais il s'en dissocie par la nature même de ce qui porte la mana : l'écriture...
Il nécessite des matériaux de grande qualité (encre, vélins, etc.)
Progresser dans la compétence associée, c’est à la fois progresser dans la confection de vélins et d'encres très raffinés, et dans l’acquisition de la lecture et de l’écriture de l’Arkan ou de l’Anarkan.

Il n’y a pas à proprement parler de « recherches » en Ecriture de Parchemins (si ce n'est dans les supports matériels, vélins et encres) : lorsqu’un sort est connu, c’est qu’il peut s’écrire et se lire en Arkan/Anarkan.

Enchantement

L’Enchantement consiste à insuffler de la mana dans des objets inanimés, en usant de l’Arkan ou de l’Anarkan.

Pour son objet, un enchanteur cherchera toujours à obtenir une qualité de matériaux et une qualité de réalisation maximales.
Pourquoi ?
Parce que sa discipline s’applique, dans l’idéal, à des objets théoriquement parfaits : tel degré de pureté, telles dimensions, tel poids, etc.
En pratique, ce qui coute cher, ce n’est pas le prix des composants, c’est le temps passé à s’approcher de la précision requise pour réussir la dernière étape, celle de l’insertion de mana dans ledit objet.

Faire des recherches en Enchantement tient à la fois à l’artisanat de haute précision – il s’agit d’atteindre une sorte d’idéal théorique, donc la compétence technique d’un enchanteur est essentielle – et à l’étude d’un pan particulier de l’Arkan et de l’Anarkan, celui qui concerne l’insertion de mana dans quelque chose d’inerte (là où d'habitude, on cible plutôt des êtres vivants).

Alchimie

A la sortie des piliers de poussières, certains poussiéreux avaient des souvenirs de techniques, de formules, de composés …
Elles furent bien utile pour permettre de se battre contre les éléments et les rejetons.
On trouvait bien sur de nombreux chimistes parmi la fraternité du désordre pour créer de la poudre pour les armes à feux ou d’autres mixtures instables qui faisaient la joie des Tchaës.
La fraternité garde un avantage certain sur ce domaine par rapport aux autres factions.
Mais chaque faction avait ses herboristes, ses préparateurs d’onguents, etc …
Le savoir était transmis à la nouvelle génération de nouvelles recettes et théories étaient découvertes, mais ce n’était pas de l’alchimie.
Non l’alchimie est bien autre chose.

Lorsque les plus puissants sorciers explosèrent en même temps alors qu’ils faisaient des expériences sur la sphère de Coruscation, la plupart des recherches sur la sorcellerie furent arrêtées, stoppées net dans leur élan.
Mais on n’éteint jamais totalement la flamme de la créativité, aussi horrible fut cet évènement.
Certains se mirent à explorer des voix aléatoires de pouvoir, ceci donna lieux à des débouchés dans diverses sciences et à un grand nombre d’échecs, parfois fatals.
Certains découvrirent que des substances naturelles ainsi que certains éléments provenant des animaux de Syfaria pouvaient être transformés en poudre, mélangés, chauffés, dissous, filtrés pour en obtenir des potions.
On découvrit que ces potions copiaient pour la plupart les effets des sortilèges dérivés de l’Arkan comme des potions pour soigner les blessures, se rendre plus rapide , invisible, etc …

L’alchimie était née, on se lança dans une vraie course aux potions, aux mélanges divers et variés .
On se mit à faire des listes, des ingrédients, des potions et de leurs effets.
Parfois certains eurent de désagréables surprises en ingérant certains mélanges d’alchimiste amateur.
Les choses se calmèrent peu à peu aux alentours de l’année 1105, tout avait été quasiment découvert et les avancées étaient beaucoup plus mesurées.
Les sorciers se penchèrent aussi sur cette voie, certains jugèrent que c’était une voie bâtarde indigne des vrais sorciers, mais d’autres virent le potentiel de cet art.
Et ils découvrirent que leur maitrise des sphères les aidait grandement à assimiler cet art et ils saisirent les concepts avec une grande rapidité.
Ils arrivaient même à créer des potions avec plus de facilité, un bon guérisseur avait des facilités avec les potions de soin par exemple.
Mais l’alchimie ne leur était pas réservée, d’autres pouvaient très bien la pratiquer.

Les sorciers qui s’étaient penchés sur cette discipline firent une autre découverte quelques années après, on pouvait toujours en combinant divers ingrédients créer des potions qui faisaient rentrer dans une transe similaire à l’osmose de mana bien que les effets de cette potion soient limités.
Ceci permettait de regagner son mana de façon plus rapide qu’une transe habituelle.
Ceci augmenta encore l’intérêt des sorciers pour l’alchimie.
Il y eut même tout un débat sur l’inclusion de l’alchimie comme sphère de sorcellerie, mais cette idée fut quasiment unanimement repoussée par les sorciers des diverses factions.

Finalement l’alchimie fut acceptée parmi les poussiéreux comme un art utile aux sorciers mais non à leur usage exclusif.
Les alchimistes sont toujours à l’affût de nouveaux ingrédients ou recettes qui leur permettraient de découvrir de nouvelles potions.

L’Alchimie est donc in fine l’Art de composer des potions, c’est-à-dire des décoctions ayant des propriétés surnaturelles équivalentes, ou apparentées, aux effets de sort.

« L’effet » d’une potion ne vient pas de l’insertion terminale de mana dans la décoction : il vient de la préparation elle-même.
Dans l’ensemble infini des décoctions possibles, un tout petit nombre – ce qu’on nomme des potions - possède de tels effets.
Faire de l’alchimie, c’est identifier les recettes qui permettent d’obtenir, précisément, des potions... et c'est formaliser le protocole à suivre durant toute l'opération.

L’Alchimie n’est donc - à priori - pas une forme d’enchantement qui se limiterait aux décoctions : c’est un art en soi.
Il n’est nul besoin d’être compétent en Arkan/Anarkan pour le pratiquer.
A priori, car le débat fait rage, comme évoqué ci-dessus...

En effet, deux caractéristiques propres à la composition de potions évoquent irrésistiblement le travail des enchanteurs :

1 - La composition d’une potion exige des matériaux de pureté exceptionnelle, et un très haut degré de précision et de rigueur.
C’est un point commun avec l’enchantement, qui ne « prend » que sur des objets excellemment manufacturés.

2 - Le travail de l’alchimiste entremêle toujours deux phases, bien distinctes d’un point de vue technique : d’une part, on suit une recette, comme pour une simple décoction (avec une marge de manœuvre extrêmement réduite) et d’autre part, on y associe un protocole contextuel (c’est-à-dire qui concerne tout, sauf la recette) : récolte des ingrédients à telle heure, sous telle configuration astrale, dans tel état d’esprit, par telle personne ou à l’aide de telle créature, etc...

Ces deux phases portent un nom spécifique :

- Celle de préparation de la recette, c’est la phase inerte.
- Celle de suivi d’un protocole contextuel, c’est la phase philosophale.

La phase philosophale n’utilise ni l’Arkan, ni l’Anarkan, mais les théoriciens de l’enchantement prétendent qu’elle consiste à introduire de la mana (par l’irrationnel) dans la décoction et donc, de faire quelque chose qui s’apparente à leur propre travail.
Mais les théoriciens de l’Alchimie ne voient pas les choses ainsi : pour eux, la phase philosophale permet d’atteindre, d’une manière subtile qui échappe aux sens, un degré de précision ultime, seul garant du succès de leur opération. C’est pour cela qu’ils qualifient ladite phase de « philosophale » : de leur point de vue, elle correspond à une transmutation, extrêmement fine et délicate, de la matière préparée.

Les débats, bien entendu, font toujours rage !

Divination

Il y a des milliers de façon de réaliser une divination.
Toutefois, cette activité entremêle toujours trois phases, là aussi bien distinctes :

- On prépare un support matériel (vasque liquide, miroir, décoction à boire, herbe à fumer, animal à étriper, etc...) : c’est la phase matérielle.

- On s’implique corporellement dans l’opération : fumigation, ingestion, dépôt d’onguent sur les paupières, émission d’un son...
Le devin est toujours partie prenante de l’opération, d’une façon parfois dangereuse : c’est la phase corporelle.

- On se concentre, on effectue un repli intérieur, afin d’établir un lien entre son âme et celle de sa cible : c’est la phase spirituelle.

Une différence importante entre la Divination et les autres domaines de l’activité surnaturelle des êtres de poussière, c’est son caractère éminemment personnel : deux devins ne procèderont jamais exactement de la même manière.





(Elaboré par Balenk, et à partir d'un texte de Ligerio Dhuri pour l'Alchimie)